http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2015-2016/20160070.asp#P668395
Article 30 bis A
Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression par le Sénat de l’article 30 bis A.
Je suis saisie de trois amendements, nos 614, 615 et 617, qui tendent à le rétablir et peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
La parole est à Mme Annie Le Houerou, pour les soutenir.
Mme Annie Le Houerou. La création de l’ordre national des infirmiers par la loi du 21 décembre 2006 avait suscité de très vives réactions de la part d’une grande majorité de ces professionnels, notamment des infirmiers salariés, qui représentent plus de 80 % de la profession.
Parmi les quelque 600 000 professionnels recensés – le chiffre est difficile à évaluer précisément –, environ 117 000 personnes sont inscrites à l’ordre, sans être nécessairement adhérentes, à jour de leur cotisation. Parfois, en effet, les établissements de santé effectuent ces inscriptions sous la contrainte, voire automatiquement.
Les différentes auditions que j’ai menées avec les rapporteurs ont montré que l’ordre national des infirmiers ne fait toujours pas consensus, qu’il n’est pas représentatif de la profession et qu’il continue à créer des tensions au sein d’une profession qui aurait besoin de se rassembler.
Les professionnels ont longtemps avancé des arguments liés à la gestion de l’ordre, car de réels problèmes se sont posés. Un défaut de représentativité comme de transparence reste en outre souligné. L’ordre se heurte ainsi à un constat d’échec s’agissant des différentes missions qui lui ont été confiées.
Cet amendement a donc pour objet d’apaiser les conflits au sein d’une profession divisée, qui oppose un refus de principe. Lors des auditions, nous avons ainsi pu écouter des positions bien tranchées, qui n’étaient pas conciliables : certains infirmiers sont favorables à l’ordre quand d’autres y sont entièrement opposés.
Il devient urgent de clarifier la situation juridique de ces infirmiers, qui est extrêmement précaire puisque 80 % d’entre eux ne sont pas inscrits à l’ordre, une inscription pourtant obligatoire. Ces personnes tombent donc sous le coup d’un exercice illégal de leur profession. Le risque élevé de contentieux qui en résulte est préjudiciable aux infirmiers comme aux patients.
Les missions dévolues à l’ordre national des infirmiers, qui mobilisent un budget important, pourraient être confiées à des instances existantes, comme c’est déjà le cas pour celles qui sont exercées en doublon avec d’autres structures, telles que la Haute autorité de santé, le Haut conseil des professions paramédicales ou les agences régionales de santé – ARS. La suppression de l’Ordre suppose d’apporter des précisions réglementaires s’agissant du partage des compétences de chaque organisme. Nous pouvons cependant trouver des solutions, y compris pour clarifier la situation des salariés dans l’ordre.
La garantie des bonnes pratiques peut ainsi être assurée par la Haute autorité de santé ou par le Haut conseil des professions paramédicales, organismes qui émettent déjà un avis sur cette question. Quant à la régulation de la profession ou le recensement et le suivi démographique, ils sont assurés aujourd’hui par les ARS, en lien avec le fichier ADELI ou le répertoire partagé des professionnels de santé.
Des solutions existent donc. Cet amendement résout d’abord l’obligation d’inscription, donc le risque élevé de contentieux que les infirmiers et infirmières qui refusent d’adhérer à l’Ordre encourent. En tant que législateur, nous devons prendre ce sujet en considération et lui trouver une solution. J’ignore en effet comment l’on pourra contraindre 80 % des infirmiers à adhérer contre leur gré.
Ma proposition ne remet pas du tout en cause la liberté d’association et le souhait de certains infirmiers de se regrouper pour défendre leur profession. Elle permet également à l’ordre national des infirmiers, non plus de contraindre, mais de convaincre les infirmiers d’adhérer, si tel est leur choix. Cela lui impose de faire la preuve de son action et de sa capacité à rassembler. Ma proposition concilie donc les différents points de vue, tout en réglant le problème juridique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable à cet amendement de suppression pour de multiples raisons. Depuis la première lecture, des auditions ont été menées avec les différents ordres des professions médicales et paramédicales, ainsi qu’avec les syndicats. De nombreux députés ont assisté à ces auditions, qui nous ont apporté des éclaircissements importants.
Il apparaît tout d’abord que nombre des critiques formulées concernent en réalité les débuts de l’ordre national des infirmiers : la gestion de cet organisme était alors défectueuse ; les conditions d’inscription, de cotisation et d’adhésion, non exemptes de critiques. Cela justifiait en effet une remise en ordre.
Dans les deux dernières années, des modifications importantes sont intervenues. La gestion de l’ordre est devenue exemplaire, alors que les cotisations, qui s’élèvent à 30 euros pour les infirmiers salariés, sont désormais modérées et accessibles. Les adhésions sont en constante progression alors que les personnes non adhérentes ne font pas l’objet de poursuites. En définitive, ces conditions font beaucoup moins l’objet de critiques, quels que soient ceux qui les adressent.
Lors des auditions, il est surtout apparu qu’il n’était pas possible de remplacer l’ordre national des infirmiers par un autre organisme. Ses missions doivent en effet être exercées soit par un ordre, soit par une organisation regroupant l’ensemble des professions paramédicales, comme cela avait été discuté voilà de multiples années. La situation actuelle est toutefois irréversible puisque chacune de ces professions a créé un ordre. L’ordre national des infirmiers est donc nécessaire : ce n’est pas au moment où l’on met en place les pratiques avancées, lesquelles élèvent les responsabilités des activités d’infirmiers, que l’on peut se dispenser d’un ordre, qui les régule.
D’autre part, certaines fonctions, comme les contentieux ou les conflits, sont gérées, quand l’ordre des infirmiers est défaillant, par l’ordre des médecins, ce qui n’est pas une bonne chose, ni pour les médecins, ni pour les infirmiers, qui se trouvent dans une position humiliante au moment même où ils revendiquent – légitimement – une certaine autonomie pour leur profession.
Pour toutes ces raisons, il est nécessaire, aujourd’hui plus encore que par le passé, de pérenniser cet ordre et d’encourager ceux qui le dirigent à continuer à oeuvrer avec le même sérieux et le même sens des responsabilités qu’au cours de ces dernières années.
J’ajoute qu’il n’est pas possible d’opter pour une adhésion facultative : dans ce cas, il s’agirait, non plus d’un ordre professionnel, mais d’un syndicat de plus – il en existe déjà plusieurs chez les infirmiers – ou d’une association.
La commission a donc émis un avis défavorable sur les trois amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Je reprendrai à mon compte les arguments du rapporteur, mais auparavant, je veux saluer le remarquable travail effectué par Mme Le Houerou au cours des derniers mois. Je comprends très bien sa démarche. Il est tout à fait vrai que la mise en place de l’ordre national des infirmiers s’est effectuée dans de très mauvaises conditions et que celui-ci ne s’est pas donné les moyens, jusqu’à une date très récente, de convaincre les infirmiers et les infirmières d’y adhérer. En outre, l’honnêteté m’oblige à dire que la démarche de Mme Le Houerou est conforme à l’analyse qu’avait faite à l’époque le groupe politique auquel j’appartenais et auquel elle appartient, analyse qui amenait à s’interroger sur le bien-fondé de cet ordre. Toutefois, les choses ont progressivement changé, notamment au cours des derniers mois, et c’est pourquoi le Gouvernement ne souhaite pas que soit supprimé l’ordre national des infirmiers et que je vais être amenée à donner un avis défavorable aux trois amendements, pour des raisons identiques à celles exposées par le rapporteur.
La première, c’est qu’il serait paradoxal de supprimer l’ordre dans un texte qui renforce les compétences des infirmiers, via les pratiques avancées. On a impérativement besoin d’une structure de régulation déontologique, et si ce n’est pas l’ordre, quelle organisation pourrait jouer ce rôle ? À l’époque où nous proposions la suppression de l’ordre, nous souhaitions en réalité qu’il n’y ait pas d’ordre dans les professions paramédicales et que soit mise en place une structure commune. Mais dès lors qu’il existe un ordre pour les kinésithérapeutes et un autre pour les podologues, une telle structure commune n’a plus de raison d’être. Chacune des autres professions ayant sa propre structure de régulation, il ne serait pas souhaitable que les infirmiers en soient privés ou, pire encore – si j’ose dire –, qu’on les renvoie à l’ordre des médecins. Au moment où l’on met en place des pratiques avancées, il convient que les infirmiers soient maîtres de leurs décisions et de leur régulation.
Enfin – et ce n’est pas aussi anecdotique que cela y paraît au premier abord –, la nouvelle direction de l’ordre des infirmiers a incontestablement compris qu’elle devait convaincre, et elle s’y emploie à l’aide de pratiques plus conformes à ce que l’on peut attendre d’une structure déontologique que ce que l’on a connu par le passé. Il y a certes encore du travail à accomplir, mais c’est à l’ordre de le faire.
Pour toutes les raisons évoquées, et ne voulant pas demander le retrait de vos amendements compte tenu du travail que vous avez effectué, et dont je salue à nouveau la très grande qualité, je me vois contrainte d’y émettre un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Denis Jacquat.
M. Denis Jacquat. Jean-Louis Touraine et Mme la ministre ont avancé un certain nombre d’arguments que je voulais formuler ; je ne les reprendrai donc pas.
J’étais présent lors de la création de l’ordre. Cela répondait à la demande d’une majorité des infirmiers ; déjà à l’époque, la question se posait de savoir s’il devait concerner toute la profession ou seulement une partie, avec les hospitaliers d’un côté et les non-hospitaliers de l’autre. On a décidé de suivre l’exemple des médecins, les médecins hospitaliers faisant eux aussi partie de l’ordre : cela doit concerner tout le monde, ou personne.
L’ordre a en outre connu des problèmes internes, au niveau du bureau, et nous avons reçu devant la commission des affaires sociales la présidente de l’époque, précisément parce que nous étions tous un peu perturbés psychologiquement ; nous nous posions beaucoup de questions et nous lui avons fait part des remontées que nous avions eu de personnes qui ne voulaient pas faire partie de l’ordre pour des raisons diverses.
Toutefois, avec le recul, il me semble qu’un ordre est nécessaire. Quand j’étais jeune médecin, on m’avait d’ailleurs incité à faire partie du conseil de l’ordre, car il y avait à l’époque en son sein des médecins qui avaient… l’âge que j’ai aujourd’hui (Sourires) et il fallait le rajeunir. Au cours des six ans passés en son sein, j’ai noté que bien des problèmes internes à la profession étaient réglés à ce niveau. Ce genre de problèmes, il n’est jamais bon de les régler sur la voie publique, et cela est encore plus vrai dans le domaine médical ou paramédical.
Mme la présidente. Merci, monsieur Jacquat.
M. Denis Jacquat. Je termine, car cela est important, madame la présidente.
Comme il y a des détracteurs dans tous les ordres, il est évident que si l’on supprime l’un d’entre eux, on nous demandera ensuite de les supprimer tous.
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Richard.
M. Arnaud Richard. Dans la nuit du 9 au 10 avril, nous avions, sur proposition de nos collègues socialistes, supprimé l’ordre national des médecins… pardon, des infirmiers ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Vous en auriez été capables !
En tout cas, nous y revoilà, alors que le Sénat avait supprimé cet article dans le cadre de la navette parlementaire.
L’existence d’ordres suscite un vaste débat, surtout s’agissant des professions paramédicales ; nous l’avons eu dans la précédente majorité. Toutefois, les structures ordinales remplissent des missions indispensables à la régulation des professions concernées, et l’on ne peut pas imaginer, chers collègues, que ce soient des syndicats qui les exercent. Il leur revient en effet de promouvoir l’éthique, de garantir la déontologie des professionnels, d’inciter au développement de leurs compétences et, plus généralement, de garantir la qualité des soins.
Certes, on ne réécrit pas l’histoire, et nous connaissons tous celle de l’ordre national des infirmiers, mais pourquoi vouloir supprimer ce dernier au moment même où la mise en place des ordres est si importante ? Chacun le sait : une des causes de la crispation à ce sujet est la cotisation due à l’ordre par les professionnels, dont 80 % exercent en milieu hospitalier. Toutefois, force est de constater que ces problèmes sont sur le point d’être réglés ; comme l’a dit Jean-Louis Touraine, la nouvelle équipe est en passe de créer les conditions d’un fonctionnement satisfaisant. Il y a aujourd’hui, Mme Le Houerou l’a rappelé, 177 000 infirmiers et infirmières inscrits à son tableau. L’ordre des infirmiers semble connaître une forte montée en puissance, pour une instance de création somme toute assez récente.
Nous savons qu’une réflexion sur la mise en place d’un meilleur encadrement des pratiques ordinales doit être engagée et suivre son cours, mais il nous revient de garantir la qualité du débat public. Or la mesure introduite en première lecture par nos collègues socialistes, et reprise aujourd’hui par les mêmes, n’intègre aucune réflexion préalable qui permettrait d’en évaluer les conséquences.
Pour toutes ces raisons, je ne vois pas pourquoi, en nouvelle lecture comme en première lecture, les socialistes veulent mettre à mal l’ordre national des infirmiers.
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Sirugue.
M. Christophe Sirugue. Je veux apporter mon soutien aux amendements d’Annie Le Houerou, dont je suis cosignataire.
Je reconnais, madame la ministre, qu’il y a un élément nouveau : la gouvernance de l’ordre des infirmiers semble aujourd’hui objectivement plus prompte à organiser la profession de manière collégiale. Il reste toutefois un problème de fond, c’est que nous comparons l’ordre des infirmiers à d’autres ordres présents dans le milieu médical – mais cela pourrait être étendu à d’autres milieux –, sans que nous fassions de distinction entre la profession et le statut. Tous les infirmiers exercent la même profession, mais à la différence des professions que vous avez mises en avant, 80 % d’entre eux sont des salariés et 20 % seulement sont des professions libérales. Pour ces 20 % qui souhaitent se structurer, nous imposerions aux 80 % de salariés dépendants de l’organisation du travail mise en place par leur employeur l’intervention d’un ordre, sans que la répartition des prérogatives entre ce dernier et l’employeur soit clarifiée ? Voilà qui semble bien délicat ! D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si 80 % des infirmiers n’ont pas adhéré à l’ordre : c’est symptomatique du problème de statut.
Autre élément, qui me paraît extrêmement important : il existe un Haut conseil des professions paramédicales, qui est déjà en place. On dit qu’il n’y a rien, mais ce n’est pas vrai ! Il existe bien une instance, qui peut être un interlocuteur.
Pour toutes ces raisons, j’apporterai mon soutien aux trois amendements déposés par notre collègue Le Houerou.
(Les amendements nos 614, 615 et 617, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés et l’article 30 bis A demeure supprimé.)
M. Arnaud Richard. Merci l’opposition !