Ressources humaines Une enquête de l'ISNIH sur les gardes des internes entraîne un rappel à la loi du ministère
11.09.12 - 18:07 - HOSPIMEDIA |
Une large enquête de l'ISNIH sur les gardes et astreintes, rendue publique le 10 septembre, alerte sur les conditions de travail des internes dans les hôpitaux. L’intersyndicat a demandé a minima la stricte application des dispositions légales, quand une circulaire ministérielle aux ARS allant dans ce sens a été opportunément publiée le même jour.
Les internes en médecine frôleraient-ils le burn-out ? S'il était de notoriété publique que l'internat n'était pas une sinécure...c'est chiffres à l'appui que l'Intersyndicat national des internes des hôpitaux (ISNIH) entendait l'illustrer grâce à une enquête sur les conditions de travail actuelles de leurs congénères et pouvant peser dans un argumentaire de leurs revendications vis-à-vis des tutelles. Ou, comme le dit de façon plus militante l'ISNIH, "lever le voile sur un sujet brûlant" et mettre "en lumière des rumeurs réputées infondées", dix ans après l'instauration de l'obligation légale du repos de sécurité post-garde. L'ISNIH a ainsi recueilli, entre la mi-mai et la mi-juin, plus de 7 000 réponses aux questionnaires envoyés à des internes en médecine (dont 5 872 réponses complètes qui ont été exploitées) portant sur le respect de la réglementation en vigueur concernant les activités de garde, d'astreintes et du temps de travail en médecine (lire la méthodologie et le profil des sondés en encadré).
Non-respect du repos de sécurité pour 21% des sondés
L'enquête, présentée à la presse lundi, montre dans un premier temps que si en moyenne un interne effectue quatre gardes mensuelles, la gynécologie-obstétrique, l'anesthésie-réanimation et les spécialités chirurgicales sont les disciplines où le nombre de gardes est le plus élevé, avec respectivement 5,5, 5,06 et 4,69 gardes en moyenne. Le repos de sécurité - temps de repos à l'issue de chaque garde de nuit, d'une durée de 11 heures immédiatement consécutif à la garde, libre de toutes obligations de service hospitalières, ambulatoires ou universitaires - n'est pas respecté pour 21% des sondés. Preuve selon l'ISNIH "que le phénomène est très loin d'être anecdotique". Les disciplines les plus touchées sont, par ordre d’importance, les spécialités chirurgicales (75% de non-respect), la gynécologie-obstétrique (30%) et les spécialités médicales (21%). Parmi les spécialités chirurgicales, ce non-respect "variait de 50 % pour la chirurgie orale à près de 92% des sondés pour la neurochirurgie", pointe l'ISNIH, sans expliquer de telles disparités.
L'application du repos de sécurité est disparate selon les régions. Cependant, "les subdivisions de Limoges, Strasbourg et Clermont-Ferrand sont dans le trio de tête de celles respectant le moins le repos de sécurité avec plus de 30% des internes sondés", pointe l'intersyndicat. "Nous ne cherchons pas à faire un classement en temps que tel, a indiqué le secrétaire général adjoint de l'ISNIH, Étienne Pot à Hospimedia. Mais s'il y a une liste noire, en l’occurrence tous les CHU y figurent, puisqu'aucune région ne semble aujourd'hui respecter la législation". Ainsi, "alors que les CHU accueillent les deux tiers des internes en médecine, ce sont eux qui respectent le moins les repos de sécurité", a pointé François Petitpierre, président de l'intersyndicat, lors de la conférence de presse de présentation de l'étude. Ce non respect concerne, selon l'étude, 25% des internes sondés accueillis en CHU, 22% en clinique privée, 13% en CH périphérique et 3% en ambulatoire.
"Insuffisance" d'organisation des services
Après une garde, une moitié des sondés disent rester sur le terrain de stage le lendemain matin, l'autre moitié restant en poste toute la journée suivante. Le repos n’est donc pas respecté dans la majorité des cas, compte-tenu de "l’insuffisance d’organisation du service ne permettant pas à l’interne de prendre son repos de sécurité". Selon l'ISNIH, la charge de travail restante est répercutée sur ses co-internes et "devient alors intolérable". Quand le repos est respecté, ce sont les co-internes, à 67%, qui assurent cette charge, un interne volant dans 6% des cas et, dans 18% des cas, "c’est un médecin senior du service, montrant ainsi très clairement l’insuffisance d’organisation des services". Enfin, pour 24% des internes sondés, cette "obligation de présence sur le repos de garde venait d'une injonction forte des chefs de services, preuve de l'existence encore trop fréquente de fonctionnements féodaux".
Des erreurs médicales accrues
Parmi les sondés, 15% déclarent avoir commis des erreurs médicales, de prescription, de diagnostic ou d'acte opératoire pendant un repos de garde et 39% estiment qu'ils en ont probablement réalisées. Ces proportions montent à 25% et 46% pour des internes n'ayant "habituellement" pas ce repos. Les erreurs médicales réelles pendant un repos sont déclarées par 25% des répondants en chirurgie. Les taux d'erreurs réelles et probables les plus élevés sont déclarés en premier lieu par les sondés en chirurgie, anesthésie-réanimation et gynécologie. Par ailleurs, 25% des internes estiment que les "seniors ne sont pas facilement sollicitables la nuit". Ainsi, 30% d'entre eux jugent leurs gardes aux urgences non formatrices, pourcentage qui tombe à 13% lorsque celles-ci sont réalisées dans leurs spécialités.
"Main d’œuvre corvéable et bon marché"
En moyenne, indique l'enquête, les internes travaillent 60 heures par semaine (69h en chirurgie, 66h en gynéco-obstétrique) et 85% d'entre eux dépassent le seuil réglementaire de 48 heures. De plus, selon l’inter syndicat, les internes "main d’œuvre corvéable et bon marché pour faire tourner les hôpitaux" ne verraient pas leur temps de formation respecté, avec 63% n'ayant pas la possibilité de bénéficier des deux demi-journées universitaires prévues légalement. "Les plus mauvais élèves sont les spécialités chirurgicales, la gynécologie médicale et les spécialités médicales", est-il souligné. L'ISNIH pointe enfin qu'il est "difficilement supportable de constater que ces irrégularités sont majoritairement constatées dans les CHU, là même où le nombre d'internes est le plus élevé et où la composante universitaire devrait être plus marquée". Ainsi, l'insuffisance de formation est pointée par les sondés à 67% dans les CHU, 52% en CH périphérique, 47% en cliniques et 37% en ambulatoire.
Rappel à la loi du ministère de la Santé aux ARS
À la suite de cette enquête, l'intersyndicat demande, entre autres propositions et revendications (lire encadré ci-dessous), a minima une application uniforme des textes réglementaires concernant les gardes et astreintes. Lundi soir, le ministère de la Santé a annoncé via un communiqué avoir "adressé ce jour" une circulaire aux directeurs généraux des ARS pour leur rappeler ces mêmes dispositions réglementaires dans les établissements de santé. La ministre, Marisol Touraine, rappelle par ce texte "qui sera diffusé auprès de tous les directeurs des établissements publics de santé, les dispositions prévues" sur le temps de repos de sécurité, les deux demi-journées de formation universitaire et "leur rémunération pour participer à la continuité des soins ou la permanence pharmaceutique". Elle a ainsi souhaité que "ces dispositions soient respectées strictement, afin de garantir la sécurité des patients comme celle des internes".
Mais, au delà du respect de la loi, l'ISNIH attire l'attention des tutelles "sur le syndrome d’épuisement professionnel -"burn out"- latent des internes et même parfois de plus en plus patent, comme en témoignent les 2 000 commentaires libres" laissés par les sondés à l'issue de l'enquête. Et de conclure : "les établissements hospitaliers ne doivent pas perdre de vue qu’il en va de leur attractivité à moyen et long terme notamment concernant les jeunes médecins".
Caroline Cordier
Méthodologie de l'enquête et profil des sondés
Le questionnaire a été conçu par les membres du bureau de l’ISNIH, qui indique représenter 15 000 internes, et validé en assemblée générale. Il comportait 28 questions qualitatives ou quantitatives, sur trois parties : gardes, astreintes et temps de travail. Il a été diffusé selon deux techniques : de manière individuelle via 7 273 invitations personnelles par courrier électronique et de manière collective via l’utilisation des réseaux des associations et syndicats locaux d’internes en médecine de chaque ville de faculté et des associations nationales de spécialités. Seules les réponses complètes, parmi celles recueillies du 16 mai au 20 juin 2012, ont été exploitées. Plus de la moitié des répondants en étaient dans leur cursus à trois ou moins de trois semestres validés. L'ensemble des subdivisions d'internat ont répondu, avec une forte participation de l’Île-de-France et de la région Rhône-Alpes et 54 spécialités sont représentées parmi les répondants. Près de 1 390 internes en médecine générale ont répondu, suivis par les internes en chirurgie (toutes spécialités), avec 660 répondants environ, et près de 520 en anesthésie-réanimation et 440 en psychiatrie. 64% des sondés étaient alors affectés dans un CHU (et apparentés), 35% dans un CH "périphérique" et 1% en établissement privé lucratif.
C.C.
Les revendications de l'ISNIH sur les gardes
Concernant l'application des textes réglementaires en matière de gardes, l'intersyndicat demande notamment le respect du repos de sécurité après une période de garde, de l'encadrement et des horaires de garde des internes. Il souhaite la reconnaissance financière du travail effectué en permanence des soins, le respect du nombre de garde et astreinte maximal sur une période de quatre ou cinq semaines, du nombre minimum de 5 internes pour constituer un tableau de garde et le respect des dispenses non abusives, grâce au comité médical de l'ARS. Il demande aussi, afin de faire respecter "enfin" le repos de sécurité, la mise en place de sanctions à l'encontre du médecin responsable de l'interne ainsi que de l'établissement de santé ne permettant pas son respect. L'ISNIH revendique qu'en aucun cas la responsabilité d'un interne puisse être engagée lorsque celui-ci exerce "sous la contrainte" ses fonctions pendant son repos de sécurité. Il recommande la mise en place d'un indice composite de la Haute autorité de santé (HAS) pour la certification des établissements de santé sur la permanence des soins, ainsi que la mise en place d'un organisme de contrôle et de sanction du type de l'Inspection générale du travail. Enfin, l’intersyndicat plaide pour un alignement des émoluments des gardes sur le SMIC horaire et la revalorisation du travail les week-end et jours fériés.
C.C.
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