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Elève infirmier ancien terroriste : comment y mettre bon Ordre ?
Paris, le mardi 13 janvier 2015 – A la suite des révélations de plusieurs journaux ce week-end, nous évoquions hier comment un élève infirmier à l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (APHP) qui effectuait officiellement jusqu’à vendredi 10 janvier un stage aux urgences de l’hôpital de la Salpêtrière n’était autre qu’un ancien mentor des frères Kouachi à l’origine de la tuerie de Charlie Hebdo perpétrée le 7 janvier. Farid Benyettou inscrit à l’Institut de formation de soins infirmier (IFSI) de la Pitié Salpêtrière en 2011 après avoir réussi le concours d’entrée a en effet été condamné en 2008 à six ans de prison pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », dans une affaire où était également impliquée Chérif Kouachi. Depuis sa sortie de prison (après trois ans de peine effective), Farid Benyettou a, comme il l’a une nouvelle fois affirmé aux journalistes d’I-Télé hier, souhaité entamer une profonde reconversion en entamant des études d’infirmier. S’il reconnaît avoir rencontré les frères Kouachi il y a quelques mois, il s’assure totalement scandalisé par les attentats.
Et si la directrice de la Pitié-Salpêtrière ne regardait pas la télé ?
Au-delà de ce témoignage, les interrogations persistent quant aux conditions dans lesquelles Farid Benyettou a pu être intégré dans cet IFSI. Le patron de l’AP-HP, Martin Hirsch a souligné que l’extrait de casier judiciaire n’était pas exigé lors de l’inscription en IFSI. Sur le terrain, les pratiques diffèrent : certains infirmiers et étudiants ont pu témoigner que cette formalité avait été remplie au moment de leur inscription à l’école. Mais de fait, il semble que cette vérification soit de moins en moins fréquente et elle n’est en tout état de cause pas prévue par les textes. Comme le révèle le cas de Farid Benyettou, cette absence de contrôle peut cependant paraître paradoxale. Ainsi, les hôpitaux sont-ils prêts à former des jeunes gens dont ils pourraient découvrir à la fin de leurs études qu’ils ont fait l’objet d’une condamnation incompatible avec un emploi dans la fonction publique et avec la profession d’infirmier en général ? Dans l’affaire Farid Benyettou le paradoxe est même poussé à son comble puisque la direction de l’AP-HP et de la Pitié-Salpêtrière n’ignoraient rien du passé de l’élève (la directrice de l’établissement ayant même précisé hier avoir découvert le passé de Farid Benyettou à l’occasion de la diffusion d’un reportage à la télévision sur la filière des Buttes-Chaumont peu après l'entrée de l'élève à l’IFSI !). Si on assure au sein de l’AP-HP et de la Pitié-Salpêtrière que ces révélations ont immédiatement conduit à un signalement aux autorités policières, on ne peut que s’étonner que les institutions n’aient pas souhaité déconseiller à Farid Benyettou la poursuite d’une formation ne pouvant donner lieu à aucune possibilité d’exercice en France. Ce cheminement ne laisse en tout cas pas de surprendre le vice président de l’Ordre, Karim Mameri qui sur le site Infirmiers.com s’interroge : « Comment peut-on laisser entreprendre des études d’infirmier dans un établissement dépendant de la fonction publique hospitalière et, à l’issue, de la formation ne pas intégrer l’infirmier diplômé ? ».
Entre l’AP-HP et l’Ordre, la guerre est déclarée
Peut-être cette position étonnante de l’IFSI reposait-elle sur l’idée que s’il ne pouvait prétendre être engagé dans la fonction publique, Farid Benyettou pourrait s’installer en libéral ou exercer dans le privé ? Il semble qu’un tel raisonnement n’ait pas été étranger à l’AP-HP dont le patron a très clairement laissé sous entendre que Farid Benyettou n’aurait pas eu de mal à trouver un autre mode d’exercice. « Une façon polie de lui dire ici non, mais ailleurs oui, ceci est particulièrement choquant de mon point de vue » s’insurge Karim Mameri. Celui-ci ne cache pas sa colère contre les propos de Martin Hirsch, qui méconnaissent l’obligation d’inscription à l’Ordre infirmier, inscription qui suppose une vérification du casier judiciaire. Les déclarations de Martin Hirsch s’appuient cependant probablement sur le fait qu’aujourd’hui nombre d’infirmiers ne satisfont pas à cette obligation d'inscription.
Pas si inutile que ça de disposer d’un Ordre infirmier s’il fonctionnait parfaitement
Pour l’Ordre infirmier, cette affaire met une nouvelle fois en lumière la nécessité d’une institution de contrôle de la profession, dont le rôle doit être conforté par les pouvoirs publics. Sur ce point, l’Ordre infirmier a pressé dès aujourd’hui Marisol Touraine de s’exprimer. L’Ordre juge également que cette affaire suggère que l’instance devrait également avoir un pouvoir de contrôle dès l’inscription en IFSI. « L’Ordre souhaite (…) que soit considérée la possibilité que chaque étudiant se présente dès le début des études infirmières à l’Ordre afin que ces vérifications [l’examen du casier judiciaire détaillé, ndrl] soient faites », précise un communiqué publié aujourd’hui.
Une reconversion jugée dangereuse
Au-delà de cette question technique du « casier judiciaire », les responsables de l’Ordre infirmier peinent à entrevoir que la reconversion d’un homme condamné pour des faits de terrorisme puisse s’exercer sereinement au sein d’une profession médicale. « Comment pourrait-on autoriser cet étudiant qui a été proche des terroristes, condamné à six ans de prison, à exercer cette profession, à être en contact de personnes vulnérables », s’interroge très choqué sur le site Actu Soins Karim Mameri poursuivant sur le portail Infirmiers.com : « Qu’il se réinsère, c’est très bien. J’aimerais y croire. Mais des professions, il y en a plein. Et il faut mieux prévenir que guérir. Ils étaient tous des garçons communs, polis… Et pourtant… Je n’interdis pas tout, mais là, je trouve cela risqué ».
Ne permettre l’exercice de la profession d'infirmier qu’aux (casiers ) vierges ?
Enfin, au-delà des condamnations graves dont a été l’objet Farid Benyettou, cette affaire pourrait rouvrir le débat sur la pertinence du rejet de toutes les personnes dont le casier judiciaire n’est pas parfaitement vierge. « Doit-on interdire l'entrée en IFSI dès lors qu'un casier judiciaire n'est pas vierge, même s'il s'agit de faits passés et qui peuvent être mineurs ? » s’est par exemple interrogé Martin Hirsch. Loin de ces réflexions, d’autres font remarquer que ce cas pourrait bien illustrer l’existence d’autres failles, d’autres manquements.
Martine Pichet
Elève infirmier ancien terroriste : comment y mettre bon Ordre ?
Paris, le mardi 13 janvier 2015 – A la suite des révélations de plusieurs journaux ce week-end, nous évoquions hier comment un élève infirmier à l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (APHP) qui effectuait officiellement jusqu’à vendredi 10 janvier un stage aux urgences de l’hôpital de la Salpêtrière n’était autre qu’un ancien mentor des frères Kouachi à l’origine de la tuerie de Charlie Hebdo perpétrée le 7 janvier. Farid Benyettou inscrit à l’Institut de formation de soins infirmier (IFSI) de la Pitié Salpêtrière en 2011 après avoir réussi le concours d’entrée a en effet été condamné en 2008 à six ans de prison pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », dans une affaire où était également impliquée Chérif Kouachi. Depuis sa sortie de prison (après trois ans de peine effective), Farid Benyettou a, comme il l’a une nouvelle fois affirmé aux journalistes d’I-Télé hier, souhaité entamer une profonde reconversion en entamant des études d’infirmier. S’il reconnaît avoir rencontré les frères Kouachi il y a quelques mois, il s’assure totalement scandalisé par les attentats.
Et si la directrice de la Pitié-Salpêtrière ne regardait pas la télé ?
Au-delà de ce témoignage, les interrogations persistent quant aux conditions dans lesquelles Farid Benyettou a pu être intégré dans cet IFSI. Le patron de l’AP-HP, Martin Hirsch a souligné que l’extrait de casier judiciaire n’était pas exigé lors de l’inscription en IFSI. Sur le terrain, les pratiques diffèrent : certains infirmiers et étudiants ont pu témoigner que cette formalité avait été remplie au moment de leur inscription à l’école. Mais de fait, il semble que cette vérification soit de moins en moins fréquente et elle n’est en tout état de cause pas prévue par les textes. Comme le révèle le cas de Farid Benyettou, cette absence de contrôle peut cependant paraître paradoxale. Ainsi, les hôpitaux sont-ils prêts à former des jeunes gens dont ils pourraient découvrir à la fin de leurs études qu’ils ont fait l’objet d’une condamnation incompatible avec un emploi dans la fonction publique et avec la profession d’infirmier en général ? Dans l’affaire Farid Benyettou le paradoxe est même poussé à son comble puisque la direction de l’AP-HP et de la Pitié-Salpêtrière n’ignoraient rien du passé de l’élève (la directrice de l’établissement ayant même précisé hier avoir découvert le passé de Farid Benyettou à l’occasion de la diffusion d’un reportage à la télévision sur la filière des Buttes-Chaumont peu après l'entrée de l'élève à l’IFSI !). Si on assure au sein de l’AP-HP et de la Pitié-Salpêtrière que ces révélations ont immédiatement conduit à un signalement aux autorités policières, on ne peut que s’étonner que les institutions n’aient pas souhaité déconseiller à Farid Benyettou la poursuite d’une formation ne pouvant donner lieu à aucune possibilité d’exercice en France. Ce cheminement ne laisse en tout cas pas de surprendre le vice président de l’Ordre, Karim Mameri qui sur le site Infirmiers.com s’interroge : « Comment peut-on laisser entreprendre des études d’infirmier dans un établissement dépendant de la fonction publique hospitalière et, à l’issue, de la formation ne pas intégrer l’infirmier diplômé ? ».
Entre l’AP-HP et l’Ordre, la guerre est déclarée
Peut-être cette position étonnante de l’IFSI reposait-elle sur l’idée que s’il ne pouvait prétendre être engagé dans la fonction publique, Farid Benyettou pourrait s’installer en libéral ou exercer dans le privé ? Il semble qu’un tel raisonnement n’ait pas été étranger à l’AP-HP dont le patron a très clairement laissé sous entendre que Farid Benyettou n’aurait pas eu de mal à trouver un autre mode d’exercice. « Une façon polie de lui dire ici non, mais ailleurs oui, ceci est particulièrement choquant de mon point de vue » s’insurge Karim Mameri. Celui-ci ne cache pas sa colère contre les propos de Martin Hirsch, qui méconnaissent l’obligation d’inscription à l’Ordre infirmier, inscription qui suppose une vérification du casier judiciaire. Les déclarations de Martin Hirsch s’appuient cependant probablement sur le fait qu’aujourd’hui nombre d’infirmiers ne satisfont pas à cette obligation d'inscription.
Pas si inutile que ça de disposer d’un Ordre infirmier s’il fonctionnait parfaitement
Pour l’Ordre infirmier, cette affaire met une nouvelle fois en lumière la nécessité d’une institution de contrôle de la profession, dont le rôle doit être conforté par les pouvoirs publics. Sur ce point, l’Ordre infirmier a pressé dès aujourd’hui Marisol Touraine de s’exprimer. L’Ordre juge également que cette affaire suggère que l’instance devrait également avoir un pouvoir de contrôle dès l’inscription en IFSI. « L’Ordre souhaite (…) que soit considérée la possibilité que chaque étudiant se présente dès le début des études infirmières à l’Ordre afin que ces vérifications [l’examen du casier judiciaire détaillé, ndrl] soient faites », précise un communiqué publié aujourd’hui.
Une reconversion jugée dangereuse
Au-delà de cette question technique du « casier judiciaire », les responsables de l’Ordre infirmier peinent à entrevoir que la reconversion d’un homme condamné pour des faits de terrorisme puisse s’exercer sereinement au sein d’une profession médicale. « Comment pourrait-on autoriser cet étudiant qui a été proche des terroristes, condamné à six ans de prison, à exercer cette profession, à être en contact de personnes vulnérables », s’interroge très choqué sur le site Actu Soins Karim Mameri poursuivant sur le portail Infirmiers.com : « Qu’il se réinsère, c’est très bien. J’aimerais y croire. Mais des professions, il y en a plein. Et il faut mieux prévenir que guérir. Ils étaient tous des garçons communs, polis… Et pourtant… Je n’interdis pas tout, mais là, je trouve cela risqué ».
Ne permettre l’exercice de la profession d'infirmier qu’aux (casiers ) vierges ?
Enfin, au-delà des condamnations graves dont a été l’objet Farid Benyettou, cette affaire pourrait rouvrir le débat sur la pertinence du rejet de toutes les personnes dont le casier judiciaire n’est pas parfaitement vierge. « Doit-on interdire l'entrée en IFSI dès lors qu'un casier judiciaire n'est pas vierge, même s'il s'agit de faits passés et qui peuvent être mineurs ? » s’est par exemple interrogé Martin Hirsch. Loin de ces réflexions, d’autres font remarquer que ce cas pourrait bien illustrer l’existence d’autres failles, d’autres manquements.
Martine Pichet